Désirer le bonheur ou trouver la tranquillité

Désirer le bonheur ou trouver la tranquillité

Nous cherchons tous le bonheur, et pourtant, il serait peut-être plus fonctionnel de parler de tranquillité.

Car, en général, le bonheur est quelque chose que l’on cherche à atteindre, dans une attente remplie de conditionnels : je serai heureux si …….

Dire tout simplement : « je suis heureux », signifierait renoncer à certaines des images que nous mettons en arrière de ce mot. Nous en faisons rarement un état d’être, mais le plus souvent un état que nous cherchons à atteindre, dans une tension chargée de tous nos désirs. Nous ne sommes certainement pas tranquilles quand nous cherchons le bonheur.

Alors que la tranquillité est d’emblée un état d’être : je suis tranquille ou je ne le suis pas !

La pratique du Qi Gong ou de la méditation nous permet parfois de sentir que la tranquillité est notre état naturel. Cette intuition se développe lorsque nous y faisons la curieuse expérience de nous sentir parfaitement tranquille de ne pas être tranquille !

Car la tranquillité revient dès que nous cessons de lutter contre les circonstances de notre vie, et les sentiments qu’elles déclenchent en nous.

Lors d’une entrevue où un journaliste lui demandait s’il était heureux, Jodorovski a répondu : « Je suis tranquille ! »

Peut-être est-ce cela le bonheur tant cherché ?

 

La vision chinoise de la tranquillité :

La tranquillité en chinois se dit :   靜 JING

L’idéogramme a pour phonétique l’image de deux mains qui tirent en sens contraire, et le radical montre la couleur vert/bleu de la nature, de la vie sur terre.

Cet idéogramme (un idéogramme est une image d’idée qui s’adresse donc autant au cerveau droit qu’au cerveau gauche) signifie :

Calme. Tranquillité. Repos. Silence.

Étrange image pour signifier le repos !!!

Il me semble que nous, occidentaux, aurions plutôt choisi l’image d’un grand lac d’eau tranquille, ou celle d’un bouddha méditant !

Mais en poursuivant l’étude des divers sens de JING, nous nous apercevons que :

JING est l’antonyme de DONG qui signifie : activité, mouvement, agitation. L’idéogramme représente la roue d’un char avec comme phonétique les tendons : la capacité de mettre en mouvement.

Lorsque l’on met ces deux mots en couple : JING/DONG, ils représentent l’un des couples YIN/YANG : repos/mouvement.

 

Mais pour les chinois, les antonymes ne sont pas antagonistes : ils représentent les deux versants d’une seule et même réalité toujours présente :

La montagne ne disparaît pas selon que nous la percevons par son versant nord (premier sens de l’idéogramme YIN) ou son versant sud (premier sens de l’idéogramme YANG).

 

En continuant à suivre dans le dictionnaire les différents sens de JING, nous pouvons lire que lorsqu’il est utilisé seul, et non dans le couple DONG/JING, il représente alors la possibilité d’harmoniser les alternances du mouvement et du repos lorsque la conscience ne perd pas le fil qui la relie à la tranquillité.

Il s’avère que la « montagne » du couple DONG/JING, c’est JING.

Car le mouvement part de la tranquillité et retourne à la tranquillité.

 

C’est pourquoi l’idéogramme montre le mouvement de deux mains qui tirent en sens contraire, avec le radical de la vie.

La tranquillité, c’est d’accepter l’alternance du Yin/Yang sans lutter :

D’accompagner les moments d’activité où le désir nous porte à la création et à l’expression, et les mouvements où la vitalité reflue et nous porte à l’écoute et à la présence intérieure.

L’agir naturel se vit sur fond de tranquillité, et, son expression épuisée, le mouvement retourne de lui-même à la tranquillité.

 

Lorsque nous nous sentons agité, dispersé, anxieux ou sans désir, découragé, et envahi par les émotions que ces états d’être suscitent en nous, nous avons alors perdu le fil qui nous relie à la tranquillité.

 

La pratique du Qi Gong : voie de retour vers la tranquillité

 

La pratique du Qi Gong est une écoute en direction de la tranquillité.

C’est d’abord une observation sans jugement des conséquences de l’agitation sur le corps.

Les forces contradictoires qui nous habitent créent un état de tension dans lequel il devient impossible de se déposer : désirs et peurs nous tirent dans des directions opposées.

Notre posture se modifie, l’énergie s’accumule et se bloque dans certaines parties du corps, tandis que d’autres sont déshabitées.

Nous avons perdu confiance dans la possibilité de laisser l’alternance du Yin/Yang orchestrer notre vie : nous refusons ce qui nous arrive, ou ce que nous sommes. Nous luttons, nous forçons !!!!

Nous sommes loin de la tranquillité, et certainement pas heureux !

 

Comment lâcher-prise, et permettre à notre corps de se déposer pour retrouver la tranquillité, aussi bien dans l’action que dans le repos ?

La pratique nous apprend que cultiver une tranquillité sans cesse menacée nous demande de chercher une posture en direction d’un axe qui relie en nous le Ciel et la Terre :

 

Texte tiré d’un ouvrage Taoïste, le Jin Si Lu sur le travail corporel :

 

WU    JI SHENG TAI  JI

Ce qui n’a pas de direction (Wu Ji), crée l’axe qui orchestre harmonieusement tous les mouvements de l’univers (Tai Ji)

TAI JI DONG ER SHENG YANG

Le Tai Ji se met en mouvement et c’est la vitalité du yang.

DONG JI FU JING

Le mouvement atteint son apogée et fait retour à la tranquillité,

JING ER SHENG YIN

La tranquillité, c’est la vitalité du yin.

JING JI FU DONG

Lorsque la tranquillité atteint son apogée, alors cela fait retour au mouvement.

一動

YI DONG , YI JING

Un mouvement, un repos,

HU WEI QI GEN

L’un et l’autre torsadés ensemble comme les filins d’une corde, c’est ce qui fait la racine, la base.

分陽

FEN YIN , FEN YANG

Distinguer le yin, distinguer le yang,

LIANG YI ZHI YAN

Et les deux principes atteignent leur perfection.

 

Texte qui semble très simple à nous qui sommes familiers avec cette pensée :

Oui, le yang monte, s’exprime, atteint son apogée et fait retour au yin, comme le déroulement de la journée, de l’année, de notre vie.

 

Mais en regardant le texte plus attentivement :

 

Le texte débute par une affirmation paradoxale :

WU    JI  SHENG TAI JI

Ce qui n’a pas de direction (Wu Ji) crée l’axe qui orchestre harmonieusement tous les mouvements de l’univers (Tai Ji),

 

Les chinois nomment : TAI JI   l’axe qui organise harmonieusement le mouvement incessant du YIN/YANG.

Lorsque l’on recherche les signifiants de l’expression TAI JI dans le dictionnaire, on trouve :

  • Le faîte suprême (ce fil qui nous relie au Ciel),
  • Le fondement originel et le point de convergence de l’univers.
  • L’origine unique d’où procèdent le Yin et le Yang.

La phonétique de JI représente un homme avec une main à droite, et une bouche à gauche : paroles et actions qui s’exercent entre le Ciel en haut et la Terre en bas, dans une posture verticale signifiée par le radical de l’arbre.

 

En nous, cet axe, venant du Ciel, traverse notre corps du sommet de la tête au point BAI HUI (les cent réunions) au centre du périnée, au point HUI YIN, (réunion des Yin) pour rejoindre le centre de la Terre.

Lorsque nous sommes conscients de cet axe qui organise l’ensemble de notre corps, les tensions de la posture peuvent relâcher, et avec elles une parties des tensions contradictoires qui immobilisent notre psychisme. Notre perspective devient plus vaste : nous sommes en contact avec le « sage » en nous dont nous parle Lao Zi :

Le sage Sheng est en effet celui qui :

  • a une parole juste (le carré à droite représente la bouche)
  • une écoute profonde (la partie gauche en haut représente l’oreille)
  • grâce à sa posture verticale (trait vertical de la partie inférieure de l’idéogramme)
  • qui relie en lui Le Ciel, la Terre et les 10 000 formes de vie (les 3 trois traits horizontaux)

Pourtant, le texte nous dit dès la première phrase que le TAI JI, principe ultime d’organisation à l’œuvre dans l’univers, représenté en nous par un axe central qui traverse notre corps du Ciel vers la Terre, est lui-même engendré par le WU JI.

WU 無signifie le vide, ne…. pas. L’idéogramme représente une forêt qui a brûlé en totalité.

Le WU JI, c’est donc ce qui n’a pas d’organisation, de direction : le vide.

 

Cette notion paradoxale au cœur de la pensée chinoise, ne peut être appréhendée par le mental : seule l’expérience corporelle peut nous éclairer !

C’est pourquoi le texte, après avoir défini l’alternance du YIN/YANG orchestrée par le TAI JI, nous parle de ce vers quoi pointe l’expérience corporelle lorsque l’attention se porte sur cet axe virtuel au centre du corps :

 

HU WEI QI GEN

L’un et l’autre (YIN/YANG) torsadés ensemble comme les filins d’une corde, c’est ce qui fait la racine

 

Lorsque nous pratiquons, dans la recherche constamment renouvelée d’un axe vertical central autour duquel tous les mouvements s’organisent, (le TAI JI en nous) il y a alors un état d’être qui s’installe en direction du Vide, de la tranquillité.

Car la conscience d’un axe au centre du corps permet aux chaînes musculaires antagonistes de s’équilibrer entre l’arrière et l’avant, la droite et la gauche.

Les tensions chroniques de la posture apparaissent graduellement à la conscience, et certaines d’entre elles commencent à relâcher.

 

Cela donne graduellement une sensation de bien-être qui permet de lâcher la perfection de la posture, car la posture n’est qu’un moyen qui pointe en direction de la tranquillité.

 

Les Souffles YIN et YANG sont alors comme les deux filins torsadés d’une même corde, retournant à leur origine commune, la tranquillité, à la racine de tous les mouvements du corps, du cœur et de la pensée.

Fétichiser la posture n’est d’aucune utilité. Nous n’avons pas à nous demander : « ai-je la BONNE posture ? », mais à patiemment revenir à une écoute en direction d’une posture qui éveille la sensation d’un axe central vide au centre du corps, qui, partant du Ciel, traverse le BAI HUI (lieu des cent réunions) au sommet de la tête, descend jusqu’au HUI YIN (réunion des yin) au centre du périnée et se poursuit vers le centre de la Terre.

En QI GONG, la position WU JI s’appelle aussi JING LI 靜 立 , debout tranquille.

C’est une position extrêmement simple : les deux pieds rapprochés, les bras détendus le long du corps : debout, tranquille !

 

Et on observe : suspendu au Ciel par le sommet de la tête, toutes les tensions de la posture peuvent éventuellement fondre en direction de la Terre.

On observe les muscles qui se contractent pour tenir la posture, et ceux qui n’éveillent aucune sensation, comme non concernés par la posture.

On observe cela constamment, et cela change constamment.

Parfois, la posture semble tenir d’elle-même, sans effort. Dès qu’on en prend conscience dans une tentative de s’y accrocher, on perd la tranquillité. Parfois encore, on prend conscience de tout ce qui se contracte pour tenir, et on accepte de ne pas arriver à lâcher, et ça lâche : la tranquillité revient.

Moins on lutte pour y arriver, plus on s’en approche !!!!

 

分陽

FEN YIN , FEN YANG

Distinguer le yin, distinguer le yang,

LIANG YI ZHI YAN

Et les deux principes atteignent leur perfection

 

 

Puis, la conscience ayant fait retour en direction de sa racine pendant la pratique de la posture, lorsque le mouvement se déclenche, en QI GONG ou dans la vie, il nous est possible de mieux distinguer YIN et YANG, de démêler les fils de trame et les fils de chaîne de la réalité quotidienne, de hiérarchiser, d’organiser les forces contradictoires qui nous habitent aussi bien dans notre posture corporelle que dans notre posture psychique et éthique dans le monde, puisqu’il s’agit d’une seule et même réalité.

 

Le texte nous dit alors que c’est cette distinction qui permet au YIN/YANG d’atteindre chacun leur plein potentiel :

Il est alors possible d’accompagner les moments d’activité où le désir nous porte à la création et à l’expression, et les mouvements où la vitalité reflue et nous porte à l’écoute et à la présence intérieure.

L’agir se vit alors naturellement sur fond de tranquillité, et, son expression épuisée, le mouvement retourne de lui-même à la tranquillité.