Jing, Qi, Shen

Jing, Qi, Shen

Conférence donnée au congrès de l’ordre des acupuncteurs du Québec en octobre 1010

Je vais vous parler de l’origine de Jing, Qi, Shen dans le Ciel Antérieur, de l’unité qui se divise en trois chemins, base et racine des Trois Foyers, des 12 méridiens, des 5 organes et des 6 entrailles.

L’être des Trois Trésors d’après Lü Dong Bing :

Dans le Lü Dong Bing, le recueil de l’ancêtre Lû, datant du VIII ième siècle, il est dit :

« Le corps de l’homme, c’est seulement Jing, Qi, Shen. On les appelle les 3 trésors. Le saint accompli n’agit pas. Tout est obtenu à partir de ces trois-là. L’être de ces 3 trésors, bien qu’il apparaisse dans le monde des formes, les hommes en connaissent très peu à son propos. »

Jing, Qi, Shen, rassemblent toute la représentation de l’être humain élaborée par les Taoïstes.

Cette représentation par trois nous renvoie aux trois champs de cinabre, aux trois étages du corps, aux Trois Foyers, et par leur intermédiaire, à toute la physiologie énergétique que nous connaissons bien.

Mais on les appelle les trois trésors parce que cette physiologie énergétique si fine, si fonctionnelle, n’existerait pas sans ce qui, dans l’invisible, le Sans Forme, la crée et la soutient à chaque instant.

C’est pourquoi l’on peut dire que, même si Jing, Qi, Shen ont une réalité très tangible dans le monde des Formes, tangible au point que nous pouvons agir dessus avec des aiguilles, des plantes et des exercices, ces notions nous échappent en grande partie.

Et pourtant, c’est précisément ce qui nous échappe qui les rend si fonctionnelles dans notre pratique… à condition de rester en lien avec ce qui nous échappe !

Il s’agit de ne pas confondre le doigt qui montre la lune avec la lune !

Car nous risquons alors de découper le vivant en morceaux, et d’être tout surpris de nous apercevoir qu’il est mort !

Cela me fait penser à une petite histoire de Zhuang Zi, ce maître Taoïste qui écrit des contes comme des koan zen :
« L’empereur de la mer du Sud s’appelle « subitement », et celui de la mer du Nord « soudainement ».

Celui du centre s’appelle « Chaos ».

Souvent, « subitement » et « soudainement » se rencontrent dans la demeure du Chaos qui les traite avec beaucoup de bonté. « Subitement » et « Soudainement » envisagent de récompenser l’efficience du Chaos et se disent : tous les hommes possèdent sept grands orifices avec lesquels ils voient, écoutent, mangent, respirent, seul lui n’en a pas. Essayons donc de tenter l’expérience de lui en creuser. Chaque jour, ils creusent un grand orifice. Au bout de sept jours, le Chaos est mort. »

 

C’est pour éviter cette destruction du vivant que le Saint accompli, (le héros des histoires Taoïstes !) n’agit pas.

Nous allons ensemble explorer cette proposition que nous connaissons tous :

Wei Wu Wei, que l’on peut traduire par :
Agir/non agir

En cherchant à relier ces deux propositions contraires, ces trois termes peuvent aussi se traduire par : L’agir non intentionnel.

Il y a bien un agir à accomplir dans notre vie et dans notre bureau.

Mais il s’agit d’éviter le « vouloir agir ». Il s’agit d’attendre, dans l’écoute, que l’impulsion se manifeste à partir de la tranquillité, et de laisser alors cette impulsion utiliser notre savoir comme d’un outil pour agir.

Parfois, ce ne sera pas à la première rencontre avec notre patient.

En effet, ce que nous croyons comprendre de Jing, Qi, Shen risque bien souvent de nous éloigner du mystère profondément agissant dont ils représentent l’intuition.

Le chiffre Trois : extrait du Lao Zi ch 42

Si ces trésors sont trois, ce n’est pas un hasard : le chiffre Trois fait lien entre le Dao et son pouvoir de faire advenir (le De) les 10 000 êtres :

« Le Dao produit le Un, le Un produit le Deux, le Deux produit le Trois, et le Trois produit les 10 000 êtres. » Lao Zi 42.

La pensée Taoïste se tourne continuellement vers l’intuition de ce qui relie les 10 000 êtres en un tout indissociable et formidablement vivant et fonctionnel, animé dans l’invisible par le Dao.

Le De du Dao De Jing (le livre de la Voie et de son pouvoir de se manifester) représente la démarche authentique (dix hommes en ont témoigné) d’un cœur/conscience qui agit sans discontinuité avec le Dao.

C’est pourquoi Jean Marc Eyssalet le traduit par le pouvoir d’être, le pouvoir d’advenir, la légitimité d’être.
Dans l’invisible, c’est le Dao.
Ce qui, dans le visible, reste en continuité avec le Dao, c’est le De.
Le De qui se dit par trois : c’est Jing, Qi, Shen.

Le corps de l’homme, c’est uniquement Jing, Qi, Shen, car ces trois-là ramènent au Dao.
La vie qui s’exprime à travers notre patient est un délicat équilibre qu’il nous faut respecter en premier lieu. Cela me fait penser aux écosystèmes de notre planète, si fragiles lorsqu’on intervient sur eux, même avec la meilleure volonté du monde.

L’invisible, l’inaudible et l’insaisissable : extrait du Lao Zi ch 14

Comment se couler dans le courant qui anime le corps/esprit de notre patient en redressant certaines trajectoires du souffle, en libérant certains obstacles, mais sans perturber la cohésion de l’ensemble ?

Dans le chapitre 14, Lao Zi parle de Jing, Qi, Shen sans les nommer :

« On le contemple, mais on ne voit rien. On l’appelle l’invisible.
On l’écoute, et on n’entend rien : on l’appelle l’inaudible.
On cherche à l’atteindre, et on n’obtient rien, on l’appelle l’imperceptible.
Ces trois-là, on ne peut pas parvenir à les définir par une recherche intellectuelle,
Confondus, ils forment l’unité. »

L’invisible, c’est Jing, la vitalité de base nécessaire à toute transformation. En nous enracinant solidement dans notre bassin, nous nous mettons en contact avec cette vitalité en nous : une présence à soi accueillant l’autre.

L’inaudible, c’est Shen, en référence à l’écoute du cœur, qui traverse l’écorce du mot pour visualiser l’image dont il est porteur, et, en écoutant plus profondément, qui laisse l’image se dissoudre pour être en contact avec le Yi, l’intention profonde que porte notre patient, parfois à son insu.

L’imperceptible, c’est Qi, l’animation même de la vie. Dans l’écoute paisible de notre propre souffle, nous évitons alors toute saisie, tout contrôle du souffle qui anime notre patient.

Et Lao Zi termine ainsi : « Être capable de ressentir intimement cette émergence continuelle à partir de l’invisible, C’est ce qu’on appelle le déroulement naturel de la Voie. »

Nous avons à écouter, à travers les symptômes, paroles, regards et gestes de notre patient l’intention profonde de la vie qui cherche à se manifester à travers lui. Pour écouter au-delà de ce qui est formulé, au-delà même de ce qui est conscient chez notre patient, il est nécessaire d’être nous-mêmes en contact avec cette émergence de la vie en nous.

Nous offrons alors un point d’appui à notre patient, et, sans agir, cela agit.

Une pensée à rebours de la pensée ambiante :

Comprendre la portée de ces Trois Trésors demande de s’en détacher un peu pour mieux y revenir.

Dans notre pratique de la médecine chinoise, le doute nous guette, et avec lui l’insécurité, la sensation de ne pas en savoir assez pour pouvoir répondre à la demande de nos patients. Nous nous précipitons alors vers de nouvelles formations, voire vers d’autres médecines que la médecine chinoise pour compléter, pour avoir d’autres cordes à notre arc. Et tout ceci est nécessaire.

Mais nous savons, par expérience, que si cela nous tranquillise un moment, cela n’éteint pas notre insécurité car il n’y aura jamais une réponse à tout.

Nous ne pouvons saisir l’autre en totalité par nos organes des sens et nos connaissances pour le guérir.

Il y a en lui quelque chose d’insaisissable, d’unique et de précieux qu’il nous incombe en premier lieu de ne pas détruire par notre action. Et, si notre patient guérit, cela viendra de cette « chose » que nous aurons préservée tout en favorisant son pouvoir de guérison en collaboration avec notre patient.

Se tourner vers cette pensée, où soigner (soi ou l’autre) et gouverner (soi-même ou un pays) demande d’en faire le moins possible tout en étant intensément présent, nous demande un certain réajustement par rapport à la pensée ambiante.

Nous allons donc nous tourner encore une fois vers le Dao De Jing dont le chapitre 1 résume toute la pensée Taoïste.

L’insaisissable au cœur du désir de vivre : extrait du Lao Zi ch 1

Lao Zi ch1 :

« Le Dao dont on peut se saisir n’est pas le Dao constant (L’état du Dao)
Le nom qu’on lui donne, n’est pas le nom constant. »

La pensée Taoïste laisse œuvrer le mystère au cœur de la création, alors que nous cherchons, par la science et la technologie, à l’éliminer.

D’emblée, la pensée Taoïste affirme que nous n’y arriverons pas, que la totalité du mystère de la vie est insaisissable par les moyens dont nous disposons, et que c’est justement cela qui fonctionne.

Il s’agit donc de porter ce mystère, d’en expérimenter la présence dans notre pratique, et d’en témoigner par des images et des mots.

« C’est pourquoi, constamment, ce qui n’a pas de désir contemple ce qu’il y a de plus subtil.
Constamment, ce qui a du désir contemple ce qui a des contours.
Ces deux-là (désir et sans désir), ils surgissent ensemble, et ils ont des noms différents. Ensemble, c’est le mystère de l’origine. Au fond du mystère, encore plus de mystère : c’est la porte de tout ce qu’il y a de plus merveilleux. »

Désir et sans désir émergent ensemble, tout en témoignant d’une expérience différente.
Tong , ensemble, représente un couvercle qui s’adapte parfaitement sur un récipient.
Cet « ensemble » est au cœur de la pensée Taoïste :
Agir/ne pas agir
Désir/sans désir
Mouvement/tranquillité

Sans désir, ce n’est pas être déprimé.
C’est désirer sans en référer à un objet de désir.
La vie, à sa source, est jaillissement de Jing mobilisé par Qi et orchestré par Shen.
Sans Désir, c’est la constance du désir de vivre qui s’exerce puissamment avant même de s’orienter vers un objet de désir.
À la racine du vivant, il y a désir de vivre, et ce désir a la puissance nécessaire pour débloquer les lieux d’encombrement.
Lorsque nous nous laissons prendre en totalité par la tension de la satisfaction d’un désir particulier, il devient manque à combler, entrainant son lot de frustrations, car l’état de désir est une invitation à la découverte, c’est un état d’être intensément vivant, qui ne peut être confondu avec les désirs particuliers et nécessaires qui habitent notre vie quotidienne.

Nous dépensons notre réserve de Jing dans la satisfaction de nos désirs particuliers.
Et nous rechargeons notre vitalité en faisant retour à l’écoute de la vie qui surgit, un état totalement accueillant, sans désir particulier.
C’est « ensemble » que cela fonctionne harmonieusement.
Le mystère secret de la vie réside dans cet : ensemble.

Jing, Qi, Shen, à la source, c’est cela.
De Jing, il y a ce qui rend la vie vivante.
De Qi, il y a l’impulsion dynamique à découvrir, à se relier, à agir.
De Shen, il y a cette possibilité d’éveil de la conscience qui accueille toute la manifestation dans un corps/esprit particulier, lui permettant ainsi d’en témoigner selon un éclairage qui lui est propre, avec un agir et une direction personnels.

Que la fascination de désirer quelque chose ne nous fasse pas oublier l’état sans désir particulier, l’état qui ne classe pas les objets en bon, pas bon, désirable, non désirable, l’état dans lequel tout ce qui se présente est accueilli.

De cette place, nous pouvons accueillir notre patient, et lui permettre de faire retour à la source de ce qui l’anime et le rend vivant, et avec lui, nous pouvons favoriser le déploiement de cette recréation de lui-même : renouveler la vie en totalité, des os jusqu’aux poils.

Dao Men Yu Yao : les paroles importantes de la porte du Dao

Le Dao Men Yu Yao est un texte beaucoup plus récent que le Dao De Jing ou le Zhuang Zi, un peu plus didactique aussi, mais il est au cœur de notre sujet puisqu’il parle du rapport entre Jing, Qi, Shen du Ciel Antérieur et Jing, Qi, Shen du Ciel Postérieur.

Jing, Qi, Shen du Ciel Postérieur, c’est du connu.

Mais parler de Jing, Qi, Shen du Ciel Antérieur est particulièrement incongru, puisque, dans le Ciel Antérieur, ils ne font plus qu’un !

Mais cela fait partie de la pédagogie chinoise : on va nous faire sentir que Jing, Qi, Shen du Ciel Postérieur nous ramènent à l’unité qui les relie dans le Ciel Antérieur par trois chemins différents. C’est comme si on allait suivre ces trois chemins de retour jusqu’au moment où ils vont se fondre dans l’unité.

La pensée Taoïste cherche à mettre des mots, des images, des sensations sur ce passage entre ces deux réalités pour y guider notre conscience. Notre présence consciente peut ainsi soutenir la puissance incroyable de la vie qui surgit, seule capable de balayer toutes les obstructions.

Revenir de la vieillesse vers l’enfance :

« Si l’on revient de la vieillesse et qu’on retourne à l’enfance pour achever l’authenticité et témoigner de la sainteté, on doit purifier Jing et le métamorphoser en Qi, purifier Qi et le métamorphoser en Shen afin qu’il retourne au vide et s’unisse au Dao. »

Pourquoi retourner à l’enfance ?

Parce que le nouveau-né est proche de la vie qui surgit, du « ensemble ». Il n’y a pas encore de séparation entre ce d’où il vient et les 10 000 objets qui surgissent avec lui.

Énergétiquement, cela s’exprime par une ouverture complète de ses Merveilleux Vaisseaux. Il ne fait pas de différence entre lui/sa mère, lui/le Ciel, lui/les arbres, etc… Les Méridiens Curieux vont rester au premier plan tant que le réseau des Méridiens Principaux ne sera pas entièrement fonctionnel.

Cette opération sera finalisée à l’âge de 7 ans : l’âge de raison, où le jeune enfant a suffisamment constitué son identité pour être capable de socialisation.

Les Méridiens Curieux se mettront alors en retrait pour soutenir le vide et absorber le trop plein du réseau des méridiens ordinaires.

Le propos du Qi Gong et de la méditation Taoïste est de ré ouvrir ces canaux subtils pour placer notre écoute à l’articulation des 2 mondes :

  • Le monde des Formes, You, (il y a, avoir, posséder, exister) , où nous avons une identité séparée.
  • Et le monde du Sans Forme, Wu, , (il n’y a pas, ne…pas, vide, néant, ne pas avoir), où notre conscience se place dans le Qi, l’espace vide qui relie chacune des formes entre elles en un tout indissociable.

En plaçant notre conscience à l’articulation des 2 mondes, proche de ce sentiment d’unité, nous pouvons établir une relation harmonieuse avec les 10 000 êtres, circonstances, choses qui constituent la réalité ordinaire, le monde vu par nous.

Cette pratique d’ouverture des Méridiens Curieux passe par Jing, Qi, Shen.

Elle demande d’abord de faire retour à la conscience de la base, du bassin qui abrite le Dan Tian Inférieur, domaine de Jing. Pour pouvoir purifier alors Jing, puis Qi puis Shen, afin de retourner au vide.

Jing du Ciel Postérieur :

« Ce qui est important dans l’exercice de purifier Jing, ce n’est pas seulement d’exercer le Jing de croisement et d’interaction (du Ciel Postérieur) »

Les deux idéogrammes qui définissent le Jing du Ciel Postérieur sont suffisamment intrigants pour qu’on s’y attarde un peu :

Le Jing de croisement : c’est la rencontre en nous de deux lignées.

Jiao montre un homme qui croise ses jambes. L’idéogramme signifie croisement, et aussi relation sexuelle.

Notre Jing est d’abord issu d’une relation sexuelle, d’un croisement (et cela nous renvoie directement au crossing over du matériel génétique issu des cellules souche) entre deux lignées parentales.

Notre existence particulière est la dernière mouture de deux lignées, un cadeau de vie qu’elles nous font, et l’occasion de nettoyer les encombrements du passé afin de transmettre une vie encore plus ardente à nos descendants.

L’ovule se dit : Jing Xue, le Jing du sang.
Et le sperme se dit : Jing Ye, le Jing des liquides.

Le Jing d’interaction : C’est la rencontre en nous de l’inné et de l’acquis.

Gan représente le cœur mordu par une émotion.

L’idéogramme signifie : émouvoir, ressentir, influencer, contracter une maladie.

Belle image de l’ntéraction, pendant toute notre vie, du Jing inné avec le Jing acquis, du monde intérieur et du monde extérieur, d’un corps porteur d’une histoire avec la complexité du monde extérieur qui le percute à chaque instant.

 

Que cette rencontre provoque des réactions et des ressentis, qu’elle nous influence et nous rende malade n’est pas pour nous étonner !

Mais, pour purifier Jing, nous dit le texte, il ne s’agit pas seulement de permettre à ce croisement et cette interaction de s’effectuer de la manière la plus saine possible.

Le Qi du Ciel Postérieur :

« Purifier Qi, ce n’est pas seulement exercer la respiration. »

Purifier le Qi demande d’harmoniser la respiration, mais ce n’est pas suffisant.

Le Shen du Ciel Postérieur :

« Purifier Shen, ce n’est pas seulement exercer le Shen de la pensée et de la réflexion »

Il nous faut donc exercer la pensée et la réflexion, de façon à ne pas laisser notre mental, et notre représentation du monde se figer, et immobiliser ainsi le Qi.

Il s’agit de pouvoir laisser les images et les mots venir, se dire, puis se dissoudre dans l’écoute, de façon à garder une fluidité psychique, et à permettre à la pensée de voir encore plus loin, d’être continuellement créative.

Cette absence de fixation du Qi de la pensée dans une forme nous évitera d’avoir à mettre sur le bûcher des êtres qui, comme Galilée, viennent bouleverser le confort du ronronnement obsessionnel de notre représentation du monde.

Pour purifier Shen, c’est nécessaire, mais non suffisant !

Jing, Qi Shen du Ciel Antérieur :

«  Ce qu’il faut chercher, au centre même de l’attachement au corps, c’est d’où prend vie le Jing Authentique du Ciel Antérieur, d’où se meut par elle-même le Qi authentique du Ciel Antérieur, d’où s’établit par lui-même le Shen authentique du Ciel Antérieur. »

D’où prend vie le Jing du Ciel Antérieur : Sheng

Sheng représente un fruit qui pend à un arbre. L’idéogramme signifie : la vie, les vivants, engendrer, créer, naître.

Au centre même de l’écoute de notre enracinement dans le bassin, il s’agit de toucher à la vitalité offerte par le Jing du Ciel Antérieur.

Le Jing du Ciel Antérieur, c’est la toile de fond de la vie, c’est le grand cercle noir qui sous-tend le diagramme du Tai Ji, c’est un espace immobile, fondamentalement non-dynamique. C’est l’immobilité à la source de tous les dynamismes, dont le Qi est l’emblème lorsqu’il entraine Jing pour arroser tout notre corps.

C’est la base de notre corps, sa fondation.

Nous y travaillons lorsque, en Qi Gong, ou en méditation, nous laissons continuellement notre forme couler vers la terre, continuellement…

Nous faisons en effet alors l’expérience d’une chute permanente qui laisse la conscience d’un corps séparé se dissoudre dans la terre.

Continuellement, car, à chaque instant, notre conscience recrée un corps, et un sol qui le porte.

La première expérience de cette sensation de dissolution de la forme donne la sensation physique d’être au bord d’un précipice ou de tomber dans un trou, alors même que nous reposons sur le sol. Et notre sursaut de peur nous renvoie vers la conscience d’un corps séparé.

Mais en continuant tranquillement à cultiver cet « ensemble » : avoir une forme/ne pas avoir de forme, l’expérience devient reposante, comme la contemplation d’une petite cascade d’eau qui s’écoule: elle est source de vitalité.

D’où se met en mouvement par lui-même le Qi du Ciel Antérieur : Zi Dong 自 動

Zi Dong 自 動 signifie se mettre en mouvement spontanément, par soi-même.

 

Au centre même de l’écoute de notre respiration, solidement enraciné dans notre bassin, lorsque nous ne cherchons pas à la contrôler, mais lorsque nous en suivons le fil, tranquillement, continuellement, nous la sentons devenir de plus en plus paisible, fine, comme un fil de soie qui se déroule.

Et soudain, nous ne respirons plus ou à peine : nous sommes respirés par le souffle du Ciel/Terre, en lien avec Yuan Qi, le souffle ancestral de l’origine au centre du bassin.

Où lorsque nous faisons nos exercices de Qi Gong, tranquillement, nous ouvrant à l’écoute de l’espace en avant/en arrière, à droite/à gauche, en haut/en bas, à l’intérieur/à l’extérieur, tout à coup, ce n’est plus nous qui faisons le mouvement : nous sommes portés par le Qi.

Où lorsqu’un coureur trouve son second souffle, etc…

Nous faisons alors corps avec le Qi qui circule, avec la fonction qui s’exprime.

D’où s’établit par lui-même le Shen du Ciel Antérieur : Zi Cun 自存

Zi Cun 自存 s’établit par lui-même.

L’idéogramme Cun montre la force de vie qui se perpétue dans la continuité des générations, comme un père qui poserait la main sur l’épaule de son fils pour établir sa descendance dans la verticalité.

Regardons l’étymologie de Shen : Le radical montre les influences subtiles qui nous traversent, et la phonétique montre la posture du méditant debout, qui reçoit ces influences dans sa verticalité, les mains dirigées vers le Dan Tian Inférieur pour les concentrer.

Au centre de l’écoute, dans la conscience qui émerge d’un cœur vacant, libre de ses attachements et de ses répulsions, Shen établit en nous sa descendance : nous ne sommes pas uniquement les enfants de nos parents, mais fils et fille de Shen.

Nous pouvons avoir, dans l’instant, accès à ce qui échappe au conditionnement de notre histoire.

L’intuition du Shen authentique du Ciel Antérieur établit une verticalité, un pivot juste entre l’individuel et l’universel, une possibilité de témoigner de la totalité du monde selon un angle particulier.

Pour exercer Jing, Qi, Shen du Ciel Antérieur, pas d’autre chemin que de prendre soin du Jing, Qi, Shen du Ciel Postérieur :

« Pour purifier Jing, on doit d’abord exercer le Jing du Ciel Antérieur, et pour cela, il ne faut pas diminuer le Jing de croisement et d’interaction du Ciel Postérieur. Pour purifier le souffle, on doit exercer le souffle du Ciel Antérieur et, pour cela il ne faut pas blesser le souffle de l’inspir et de l’expir du Ciel Postérieur. Pour purifier Shen, on doit exercer le Shen originel, pour cela, il ne faut pas détruire le Shen de la pensée et de la réflexion du ciel postérieur »

La puissance de transformation vient du Ciel Antérieur, mais, pour qu’elle puisse agir, il est nécessaire de prendre soin de Jing, Qi, Shen du Ciel Postérieur.

Ne pas manquer de Jing : Sun

Sun diminuer, manquer, montre une main qui renverse un vase pour le vider.
Nous avons besoin d’un Jing en quantité et en qualité suffisante.
C’est cela qui nous donnera une base solide qui permettra au souffle du Ciel/Terre de venir rencontrer le souffle de l’origine, Yuan Qi, et d’avoir ainsi assez de puissance pour libérer les trois barrières du Qi le long de la colonne vertébrale par l’exercice de la petite circulation.
Le Jing du Ciel Postérieur se nourrit par l’alimentation, les plantes, les couleurs, certains exercices etc…
Mais il s’agit aussi de ne pas le dépenser inutilement par une perte trop fréquente de sperme, de sang menstruel, d’avidité tournée vers le monde extérieur sans retour vers l’interne.

Ne pas blesser le Qi : Shang

Shang Blesser : le mouvement d’une flèche qui blesse un homme.
Le Qi est facilement blessé par une respiration inadéquate.
La surcharge émotive du Foyer Supérieur, accompagnée d’un blocage du diaphragme par manque d’écoute de la base, de présence à soi, d’écoute de nos réactions à l’environnement, les choc émotifs, le stress vont blesser le Qi.
Des respirations forcées lors d’exercices trop volontaires peuvent, elles aussi, être source de blocages.

Ne pas détruire Shen : Mie

Mie détruire, éliminer, sombrer.

Quand au Shen, il s’agit de ne pas l’éliminer.
Expression très forte qui montre une hallebarde, une arme, avec une plaie, et l’eau et le feu. L’idéogramme signifie : éteindre, s’éteindre, détruire, périr, être submergé, sombrer.
Lorsque l’on laisse le Shen de la pensée et de la réflexion prendre le contrôle, et faire des nœuds au centre, interrompant alors le mouvement des nuages et de la pluie : ça surchauffe en haut, et ça gèle en bas.
L’eau et le Feu ne communiquent plus. L’énergie ancestrale du bassin est gelée par manque de feu pour la mettre en mouvement, et le foyer supérieur surchauffe par manque d’eau pour le rafraîchir.
Nous sommes coupés en deux, et nous ne pouvons plus recevoir les influences subtiles de Shen.

Substance et fonction : Ti et Yong

« Donc, le Ciel Antérieur, c’est la substance du Dao, et le Ciel Postérieur, c’est la fonction du Dao. »

Ti la substance, l’essence, le principe.
C’est l’essence des choses et des êtres.
Le Ciel Antérieur, c’est la substance du Dao, cet état constant, sans dynamisme, où tout existe à l’état d ‘essence première.

Yong la fonction, ce qui fonctionne.
Le Ciel Postérieur, c’est le Dao qui fonctionne.
Dans le Ciel Postérieur, tout est obtenu à partir des 3 trésors, fonctions du Dao dans le monde des Formes.

Le point d’appui :

« Avant la naissance de l’homme : la fonction se tient au cœur de la substance. À partir de la naissance, la substance se cache à l’intérieur de la fonction. Alors, (nous qui sommes dans le monde des Formes), si l’on ne suit pas la fonction pour faire retour à la substance, sur quoi pourrait-on s’appuyer ? »

Dans le Ciel Antérieur, la fonction est cachée à l’intérieur de la substance : rien ne bouge.
Dans le Ciel Postérieur, comme un gant que l’on retourne, la fonction émerge, entraînant à l’intérieur de sa trajectoire la substance du Dao.
Magnifique image !
Tout ce qui fonctionne, la pensée, le corps, les images, les rêves, les mots, tout cela, c’est le dynamisme de Qi, entrainant Jing, orchestré par Shen. Tout cela, pour peu que nous n’en obstruons pas les chemins et le mouvement continuel, tout cela représente le seul point d’appui (continuellement en mouvement) dont nous disposons pour faire retour au Dao.
Quel autre point d’appui pouvons-nous avoir que de suivre la trajectoire de chaque geste, pensée, image dans son surgissement, son épanouissement ET son retour vers son extinction.
Nous sommes loin de l’importance accordée au retour dans cette société dont l’éthique est de favoriser une croissance continue !!!

« Désirer achever Jing, Qi, Shen du Ciel Antérieur, et ne pas prendre soin de Jing, Qi, Shen du Ciel Postérieur, on ne peut y parvenir. »

Il nous faut donc pratiquer de toutes les manières possible, à l’écoute du moment où ce n’est plus nous qui portons la fonction, mais la fonction qui nous porte, et nous guide vers l’intuition profonde de n’être séparé de rien.

C’est cela la vie qui dure.

Retour à Désir et Sans Désir :

« En réalité, Jing, Qi, Shen, ces trois-là, bien qu’on leur donne le nom d’antérieur et de postérieur, en réalité, au-delà de cette distinction, c’est avoir du désir et ne pas avoir de désir qui les distingue. »

Nous voilà revenu au Dao De Jing ch1 :
Laisser nos désirs particuliers surgir de l’écoute, état intensément vibrant de vie, détachés de tout désir particulier.

Nos savons bien d’ailleurs que certains problèmes d’infertilité se résolvent lorsque le couple lâche l’obsession du désir d’enfant, et que certains patients guérissent lorsqu’ils commencent à décrocher de l’obsession de guérir le symptôme pour lequel ils sont venus consulter.
C’est en lâchant que l’on obtient.

Conclusion :

Le texte se termine par la description de la pratique de la petite circulation, qui suit le trajet du Du Mai et du Ren Mai, pratique Taoïste visant à libérer les 3 barrières du Qi le long de la colonne vertébrale.
Chacune des barrières est en lien avec un champ de cinabre.
Lorsque l’espace intermédiaire du Qi, entre Jing et Shen est bloqué dans un de ces lieux barrière, nous sommes aussi bien coupés de notre origine dans le Sans Forme, en lien avec le Jing authentique du Ciel Antérieur, que de notre devenir, en lien avec Yuan Shen.
Nous sommes alors prisonniers de notre corps/mémoire/histoire.
Nous avons bloqué le Qi qui nous traverse, pour en faire notre identité.

Le Qi est ce qu’il y a de plus impersonnel.
C’est le dynamisme à l’origine de toutes les trajectoires particulières. Il est continuellement en mouvement. Il relie, traverse et anime toutes les formes de vie. Il circule dans l’espace vide qui relie toute chose.
C’est ce qui fonctionne.
C’est pourquoi son lieu d’élection est au Tan Zhong, le milieu de la poitrine, qui abrite Zong Qi, l’énergie ancestrale de tous les rythmes qui ont animé le vivant depuis l’origine.

Jing, c’est l’immobile, le sans dynamisme à l’origine du mouvement, le sans forme à l’origine de la forme. C’est pourquoi son lieu d’élection est le bassin, en contact avec la terre, d’où surgit toute forme et toute trajectoire.
En lien avec l’origine, dès que le Jing du Ciel postérieur est dynamisé par le Qi, il exprime le mandat légué par les générations qui nous ont précédé depuis l’origine.
Impersonnel dans le Ciel Antérieur, il devient, animé par le Qi, porteur de notre hérédité et de notre mandat dans le Ciel Postérieur.

Shen, c’est le chef d’orchestre des Qi.
C’est un pivot entre l’individuel et l’universel, entre notre « petit moi », et le « grand moi » qui englobe toute la manifestation.
C’est pourquoi l’aspect de Shen relié au cœur ne peut s’incarner dans une forme individuelle, mais nous donner l’intuition d’une direction vers le « grand moi », lorsque le cœur est vacant, libre de toute attraction/répulsion.
Les 4 autres aspects de Shen : le Hun, Le Po, Le Yi et le Zhi représentent l’histoire de l’élaboration de notre conscience durant toute notre vie, sous l’égide de Yuan Shen. Chacun d’eux est nécessaire à notre évolution.
Le Hun, le plus proche de Yuan Shen, c’est le fantôme qui parle par nos rêves, notre capacité d’imaginer, de créer.
Le Po, lié à l’élaboration de notre corps, c’est le fantôme qui cherche à exister pour soi, qui crée notre individualité, nous donne un corps séparé durant la vie fœtale, et nous permet de l’entretenir grâce à l’énergie nourricière durant notre vie.
Le Yi, c’est notre terrain porteur d’une mémoire, où la conscience trouve ses germes de croissance.
Le Zhi, pôle nord, amarre de Shen, c’est la capacité de réaliser concrètement nos rêves en assumant en totalité notre destin.

Voici les prochaines activités en Qi Gong

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En ligne :
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