L’été, le coeur et le mouvement du feu

L’été, le coeur et le mouvement du feu

A- L’étéété Xia, un homme à la chevelure abondante qui marche les mains pendantes : il n’y a plus rien à faire : tout prospère.


 

Le feu feu Huo, une flamme qui vacille vers le haut avec

deux étincelles sur les côtés.

« Les trois mois de l’été sont appelés : prospérer et fleurir
Les souffles du Ciel et de la Terrese se mêlent amoureusement,
Les 10 000 êtres fleurissent et apparaissent dans la richesse de leur splendeur,
À la nuit, on se couche, à l’aube, on se lève,
On évite le soleil,
On exerce la capacité à vivre sans violence,
Faisant fleurir la beauté, et menant à terme la fine fleur de son Être,
Il faut seconder l’écoulement des souffles,
Dont il apparaît qu’ils aiment se trouver à l’extérieur,
Ceci est la voie propre des souffles de l’été qui répondent ainsi à l’entretien de la vie. »

Su Wen ch2

 

Beaucoup d’idéogrammes parlent de floraison, de beauté, dans le sens de l’expression « la fine fleur », ce qu’il y a de mieux, de plus accompli, qui révèle le mieux la beauté de l’Être, de l’âme.
L’été est un accomplissement.
La promesse qui était contenue dans le germe d’un nouveau cycle porte ses fruits.C’est une offrande généreuse qui se donne à voir sans retenue. Le corps, le cœur et l’âme s’offrent à la vie, dont la trame est l’essence la plus pure, celle de l’Être qui est amour inconditionnel.C’est un hymne de gratitude.À chaque instant, il nous est offert de nous donner, et de remercier pour la bénédiction du Ciel. C’est le sens de l’idéogramme Ling :

Ling ling L’efficace spirituel.

 

Suite à la danse et aux chants, mouvements d’un printemps qui va courageusement au bord de l’inconnu pour y appeler le plus vaste, avec l’aide de la détermination et de la justesse de la vésicule biliaire, la bénédiction du Ciel s’écoule vers la terre, lui donnant puissance et beauté, et le coeur s’ouvre, plein de gratitude.

L’idéogramme montre des hommes qui dansenthomme qui dansentet qui chantentbouche( trois bouches) pour appeler la pluie et la pluie arrive. :pluie

 

B -Le cœur xin Xin


L’été correspond au Feu, l’un des 5 mouvements d’énergie de la tradition chinoise. Et l’organe qui lui est relié est le Cœur.

 

Su Wen ch.8 :

« Le cœur a la charge d’exercer l’autorité d’Empereur
La clarté de Shen en sort »

1- Le cœur a la charge d’exercer l’autorité d’Empereur,

Le cœur xin Xin

C’est le seul organe qui n’a pas le radical de la chair pour signifier une partie du corps.Le cœur, siège et centre de l’écoute, est l’empereur de cet empire que représente le corps.

 

Jun empereur empereur, souverain

C’est la main qui exerce l’autorité. La bouche bouche dicte les ordres.

 

Zhu zhu maître, souverain, exercer l’autorité.

Vient de Wang wang, le Roi, celui qui relie entre eux, le Ciel, la Terre et l’Homme.

 

On rajoute une flamme. Le Prince s’élève au-dessus de la multitudeIl est vu de tous, comme la flamme qui s’élève et brille au-dessus de la lampe.Exercer l’autorité est donc une posture de verticalité de l’humain, et cette posture rend visible, et entraîne les êtres dans la direction juste.

Le coeur est l’empereur. Il n’agit pas : il EST.

C’est le cœur vide, présent, à l’écoute, qui permet, par cette vacuité même, la bonne marche de cet empire qu’est notre corps-esprit.

 

« Trente rayons se joignent en un moyeu unique,
Ce vide dans la roue qui lui permet de fonctionner,
En pétrissant l’argile, on forme un vase,
Ce vide dans le vase lui donne sa fonction,
On creuse des portes et des fenêtres dans une pièce,
Ce vide dans la pièce, c’est cela qui permet la circulation,
Donc, l’Avoir, c’est ce qui fait l’avantage, le tangible,
Et le Non Avoir, c’est ce qui fait l’usage, la fonction, la circulation, la vie »
Laozi ch11.

Le cœur rythme la vie du corps.

Il en est le centre vide, qui accepte tout ce qui se présente à lui, sans rien rejeter, et sans se fixer sur rien, accueillant toujours plus vaste. C’est ce cœur vide, au centre du corps, qui permet la circulation harmonieuse des souffles, leur croisement bénéfique, et leur rayonnement, donnant ainsi à voir la fine fleur de l’Être pour qu’elle prenne sa place dans le concert de l’univers, dans une joyeuse célébration de la vie.

 

2 – La clarté de Shen en sort

Shen esprit L’Esprit

Ce sont les influences venues du Ciel, ciel ( à gauche) reçues par un être humain, centré dans sa verticalité.
Le cœur constitue un pont unique entre le corps créé, incarné, et Shen, ce vide créateur de chaque être vivant.

Qu’est-ce que Shen, que Jean-Mac Eyssalet traduit par l’Esprit Créateur ?

Shen représente notre nature spirituelle, invisible, insaisissable par les mots ou les organes des sens, une nature qui ne se révèle que dans l‘écoute méditative. Notre nature la plus essentielle est un vide créateur, à l’origine de tout ce qui se manifeste dans une forme. Shen est en dehors de l’espace-temps, non assujetti au Yin-Yang. Il ne peut pas se faire piéger dans la dualité de l’incarnation. Nous ne pouvons qu’en avoir l’intuition dans l’écoute. Les chinois disent que sa demeure est le coeur. C’est lorsque notre coeur est vide, tranquille que Shen peut s’y déposer.
Si le cœur est agité par les émotions, Shen disparaît.
Shen a une racine spirituelle, qui peut nous effleurer, nous guider, mais qui ne peut s’incarner dans un corps. Notre coeur est son port d’attache, le lieu d’où il peut venir rayonner.
Le cœur est la demeure de Shen, pour peu qu’il ne soit pas encombré de désirs ou d’aversions
Il s’agit d’écarter les pensées, les passions, les désirs et les aversions, non pas en les niant, mais en ne s’y identifiant pas, sans les nourrir, en les laissant être au même titre que tout ce qui existe.
L’espace ainsi crée entre Soi et ses passions nous met à l’écoute de la rosée du Ciel, dans un corps à corps avec l’instant présent, l’instant créateur, en écartant les fibres du temps et de l’espace. Cette observation sans jugement, cette ouverture à plus vaste, ce point vide, de pure clarté, agit comme un miroir à la surface de l’eau, où émergent comme des bulles, les pensées, les peurs, les blessures. Tout ce qui émerge, venu de l’ombre, vers cette clarté, devient lumière de pure conscience. C’est l’éveil.

 

Ming ing la clarté, l’éveil : soleil et lune

On retrouve cette notion de floraison qui rayonne. Et ce qui rayonne, ce n’est pas une beauté éphémère, mais la clarté de Shen.

 

C – Le milieu de la poitrine :


Au Sud, on rattache aussi une autre fonction, qui n’est pas un organe, mais qui possède un méridien propre, le méridien du maître du cœur (plus justement traduit par Jean-Marc Eyssalet par : celui par lequel le Cœur exerce sa maîtrise) Cette fonction réside au centre de la poitrine,

« Le milieu de la poitrine a la fonction de ministre et d’ambassadeur,
La joie et l’allégresse en sortent »

1- Le milieu de la poitrine a la fonction de ministre et d’ambassadeur :

Tan Zhong tan zhong le milieu de la poitrine

 

Zhongzongsignifie le centre : c’est une flèche au centre de la cible.

 

Tan :tan nous voyons le radical de la chair qui représente une partie du corps. La phonétique montre un grenier dont on examine le contenu à la lumière du soleil levant.

Ce n’est pas un organe, mais son lieu d’action est, lui, une partie du corps.
Nous avons donc, dans un paradoxe cher aux chinois, le cœur, organe bien réel, qui n’a pas le radical de la chair, et celui par qui le cœur exerce sa maîtrise, fonction sans organe située au milieu de la poitrine, lieu qui, lui, possède le radical de la chair.
Dans ce grenier, on peut voir que le grain est vraiment là. Tan tout seul signifie vérité, honnêteté. Et Tian Tan représente le Temple du Ciel à Pékin, là où l’empereur, en grande pompe, recevait le calendrier de l’année future, toutes les influences et rythmes qui vont s’exercer durant ce nouveau cycle.

Tan Zhong est donc un centre corporel, considéré comme un temple, à partir duquel émergexing Xing, notre nature intime (l’idéogramme représence une pousse qui émerge du cœur). C’est la conscience de soi, de sa vie et des rythmes qui l’expriment, venant d’une relation avec Shen, le vide créateur.

Le coeur est l’empereur. Il n’agit pas : il EST.

Pour que son empire marche, il a besoin d’un ministre proche et d’ambassadeurs qui iront dans tout le corps, comme le sang dans les vaisseaux. Le Tan Zhong est le palais fortifié de Xin Zhu, « celui par lequel le cœur commande », traduit le plus souvent par : maître du cœur. C’est d’ailleurs un point de ce méridien, le 8 MC, qui est au centre de la main, qui émet l’énergie guérissante du cœur.
Ce lieu est une aire d’influence énergétique, qui correspond au chakra du cœur, par laquelle le cœur délègue la charge de répartir l’énergie et le sang dans l’ensemble des méridiens, conduits et vaisseaux qui irriguent le corps.
Ce lieu peut, bien entendu, être obstrué par les agitations que les émotions créent en nous. Ces émotions construisent une voile opaque qui nous éloignent de nous-même, de l’authenticité de la conscience de soi.
C’est là que la joie se perd.
Tan Zhong est donc un passage à partir duquel le cœur vide, demeure de Shen, commande par l’intermédiaire de Xin Zhu, le Maître du cœur,
C’est pourquoi, le Milieu de la Poitrine est nommé : le ministre-ambassadeur : Chen Shi

 

Chen : chen C’est le ministre prosterné devant son maître, vu de haut.

Shi : shi C’est un homme, un lettré porteur d’un emblème évoquant la précision. Signifie : ordonner, faire en sorte que, émissaire, envoyer en mission.

Ce ministre est donc chargé d’écouter et de se soumettre à l’Empereur, et d’en transmettre les directives et les désirs dans tout le corps. C’est un mouvement dans les 2 sens, qui informe le cœur/conscience de ce qui se passe dans la périphérie, et qui émets les directives du cœur jusqu’au confins du royaume pour qu’il batte d’un même rythme.

2 – La joie et l’allégresse en sortent :

 

X ixi allégresse, se réjouir, joie, aimer
Une main qui frappe la peau d’un tambour, et la bouche qui laisse éclater des chants de joie.
Rythmes et chants. Danse.
C’est comme une fête de village.

Le joie joie, plaisir, rire, volupté, jouissance

C’est une batterie musicale antique : un tambour, des timbres montés sur un trépied en bois . C’estune musique plus solennelle, bien ordonnée qui rythme les cérémonies de la vie.
Calme, lenteur, profondeur, harmonie.
Le cœur rythme la vie du corps.
Il en est le centre vide, qui accepte tout ce qui se présente à lui, sans rien rejeter, et sans se fixer sur rien, accueillant toujours plus vaste.
Il accueille tout… et un peu plus. C’est cette foi en l’existence d’un « un peu plus », qui existe toujours, qui est toujours offert, qui est transformatrice :
On inspire, puis on écoute ce qui entre encore, lorsque le corps est détendu et qu’il n’y a plus d’air qui rentre.
On expire et on observe ce qui continue à rayonner alors qu’il n’y a plus d’air qui sort, et qu’on lâche prise complètement.
C’est ce cœur vide, au centre du corps, qui permet la circulation harmonieuse des souffles, leur croisement bénéfique, et leur rayonnement, donnant ainsi à voir la fine fleur de l’Être pour qu’elle prenne sa place dans le concert de l’univers, dans une joyeuse célébration de la vie.
Joie et allégresse donnent le rythme et sont déclenchées par le rythme. C’est la pulsation, le rayonnement, l’éclat de la célébration de la vie dans son authenticité et son lien avec Shen.
Le cœur est une charnière entre l’agitation du monde extérieur, et le brouhaha interne de nos désirs, aversions, et empreintes ancestrales. Cultiver une ouverture du cœur qui ne se fixe sur rien tout en n’excluant rien, comme un empereur juste au centre de l’état…

Le cœur peut alors, en Fils du Ciel, être le lien au travers duquel le pouvoir d’être, De s’écoule et rayonne dans tout le corps, lui impulsant un rythme qui génère la joie.

Le pouvoir d’être, efficience du Dao, est la démarche authentique (dix hommes ont vu et dit que c’était droit, juste) d’un coeur tranquille.
Nous résistons continuellement : nous refusons la vie, parce que ce n’est pas celle que notre petite conscience veut. Nous nous excluons ainsi de la joie et de l’amour qui est notre nature profonde. Notre cœur se laisse piéger par le mental, quittant ainsi la bénédiction de l’instant présent, pour ruminer ou regretter le passé, prévoir ou appréhender l’avenir. Il se laisse agripper par l’intensité des désirs et des aversions qui le traversent.
Et l’empereur de cet empire qu’est notre corps se laisse entraîner de part et d’autre, réduisant notre perspective de la vie à des aspects bien petits.
Sitôt que nous mettons toute notre énergie à résoudre un conflit, sitôt que le cœur ne garde pas son ouverture la plus vaste, ne s’accrochant à rien, mais ne rejetant rien de ce qui existe.
Sitôt que le plus important, c’est ce lien fusionnel ou réactif avec notre entourage immédiat, sans perspective ouverte, c’est la vie qui se perd.
Car nous utilisons alors notre énergie à lutter contre nous-même, à construire le monde que nous nous racontons et à nourrir des émotions intenses.
Le monde qui nous entoure a prise sur nous. Nous avons perdu notre liberté et sommes la proie de la tristesse, du désespoir et de l’apitoiement.

C’est au cœur de la contradiction la plus totale, c’est-à-dire lorsqu’on ne peut être proche de son environnement, car on risque de s’y engloutir, mais qu’on ne peut pas non plus y être indifférent car alors on est dans une perspective fermée sur soi, que quelque chose peut se passer.
Il s’agit alors d’accepter cette contradiction dans sa totalité, en lâchant-prise, en acceptant de ne pas savoir comment faire, de ne pas pouvoir vivre.
En reconnaissant qu’on n’y arrive pas, qu’on résiste continuellement, la brûlure de la honte apparaît. C’est elle qu’on cherche à fuir dans cette lutte continuelle.
Si nous nous ouvrons à cette brûlure, sans nous débattre, sans nous blâmer, sans nous justifier, nous pouvons alors, en toute humilité, reconnaître que nous ne contrôlons rien.
On n’a plus rien à perdre, puisqu’on a déjà accepté de tout perdre. Et de l’aide arrive, une intuition nous saisit, le point de vue se déplace légèrement, et nous nous retrouvons, plein de joie, au-delà de la contradiction. La Joie, vient du sanscrit jig, jugen, qui veut dire : qui relie. Rêver de tout donner, de s’abandonner à la Joie , c’est se référer comme un espace de traversée, et non de rétention.
C’est consentir à sa vie.

Martine Migaud